Publié le 21/02/2024
Laissons-nous interpeller par ce testament d’Alexei Navalny : « Je n’ai pas peur, n’ayez pas peur non plus ! Si je venais à disparaître, continuez le combat ! »
La mort d’Alexei Navalny soulève en chacun une grande tristesse et une grande colère. Tristesse légitime car avec lui disparaît une voix qui défendait la liberté et la vérité. Colère tout autant légitime car, même si l’on ignore les conditions exactes de sa mort, on ne peut qu’y voir la conséquence de l’emprisonnement et des mauvais traitements répétés, surtout envers un homme à la santé altérée par l’empoisonnement subi en 2020.
Lorsque Navalny est, de son plein gré, rentré de Berlin à Moscou, en 2021, pourquoi se jetait-il ainsi dans la gueule du loup ? Pourquoi courir au martyre en perdant la possibilité de s’exprimer depuis l’exil ? Pourquoi ne pas choisir l’efficacité, cette vertu chatoyante et consensuelle, moderne par excellence ? Navalny s’en est expliqué : on ne défend pas une cause de l’extérieur, mais de l’intérieur. Il lui fallait partager le sort de tous, rester solidaire de son peuple muselé, vivre la fraternité sans chipoter, avec tous les risques qui lui sont associés. Admirons son choix, intelligent, lucide, d’un courage fou.
En se laissant devenir un opprimé, Navalny, devenu pareil aux autres opprimés, a permis qu’ils soient reconnus. En secouant le manteau d’oppression qui pesait sur eux, il a réhabilité, du premier au dernier des onze fuseaux horaires qui traversent cet immense pays, tous les opposants politiques dont la cause était niée, il a fait entendre la douleur des mères en deuil de leurs fils soldats et il a redonné la parole aux quidams muselés par la peur.
Navalny fait remonter à nos mémoires les innombrables visages, passés et présents, des condamnés au Goulag. C’est tout le peuple russe qui, par sa mort, reçoit la couronne de lauriers du martyre. Enfin, l’existence, la dignité, la liberté leur sont rendues.
De ce défi à la dictature, impossible à la plupart d’entre nous, vient l’auréole de l’autorité morale dont, un jour, on couronnera l’opprimé volontaire. Le pouvoir qu’il en tire est construit à l’exact rebours de l’ambition personnelle : en prenant la place du dernier opprimé, il éclaire les abus de pouvoir des puissants, par une contestation radicale, entière, mais à peine visible, tant les puissants la méprisent.
Ce commentaire reprend en partie le billet d’Anne Soupa « Alexei Navalny, figure christique de l’opprimé volontaire » diffusé par mail le 17 février 2024