Publié le 05/10/2017
Ils sont rares les films qui savent montrer la non-violence en actes avec toute la puissance des images. Depuis le film Gandhi (1983) de Richard Attemborough, peu de documentaires ou de fictions ont réellement été à la hauteur de ce défi. Plus récemment, seul le film Selma (2015) sur les combats de Martin Luther King.
Ils sont rares les films qui savent montrer la non-violence en actes avec toute la puissance des images. Depuis le film « Gandhi » (1983) de Richard Attenborough, peu de documentaires ou de fictions ont réellement été à la hauteur de ce défi. Plus récemment, seul le film « Selma » (2015) sur les combats de Martin Luther King pour les droits civiques dans les années soixante au Etats-Unis pouvait soutenir la comparaison avec le film culte sur le leader de l’indépendance indienne. Mais nous étions sur des fictions, avec des acteurs, et sur des personnalités internationales un peu hors du commun.
En le regardant, je repensais à cette réflexion de Jean-Marie Muller, fondateur du Mouvement pour une Alternative Non-violente : « Il ne suffit pas de faire l’expérience de la violence pour comprendre la non-violence, il faut encore faire l’expérience de la nonviolence, c’est-à-dire de l’action non-violente. La non-violence, en définitive, ne peut être pensée si elle n’est pas vécue. Ainsi la philosophie de la non-violence n’est-elle intelligible qu’à travers l’expérience de l’action non-violente1 ». Nul doute que les militants non-violents pour le climat, en éprouvant avec leur corps le risque inhérent à l’action collective, ont davantage mesuré dans leur chair toute l’épaisseur de la violence qui domine nos sociétés, mais aussi toutes les potentialités de la non-violence en action.
D’Alternatiba à Bayonne en octobre 2013 jusqu’aux grandes démonstrations de masse lors de la COP 21 en décembre 2015, le film déroule les nombreuses actions non-violentes imaginées et mises en œuvre par « la génération climat », actions novatrices et créatrices où la désobéissance civile est parfaitement intégrée et assumée, comme celle qui a consisté à dérober des centaines de chaises dans des établissements bancaires responsables de l’évasion fiscale. Comme l’analyse justement Geneviève Azam, économiste et membre du conseil scientifique d’ATTAC, « nous devons désobéir, non pas comme un supplément d’âme pour s’amuser dans la rue, mais parce que cela fait partie maintenant de nos actes politiques premiers pour stopper des projets climaticides qui détruisent la vie. Nous sommes en situation d’autodéfense. » Pour enrayer la machine à produire des situations irréversibles contre l’humain, les citoyens n’ont désormais d’autres choix que de créer des rapports de force puissants par la mise en œuvre d’une stratégie massive de désobéissance civile. Il ne s’agit plus seulement de désobéir pour être en accord avec sa conscience, mais de désobéir collectivement pour contraindre les décideurs et les industriels à stopper leurs œuvres néfastes.
Le film est le témoin d’une nouvelle génération de militants qui ont clairement fait le choix de la non-violence, reléguant ainsi au second plan le vieux débat entre violence et non-violence dans les sociétés dites démocratiques. « Nous avons besoin de radicalité et de pragmatisme, expliquait Txetx Etcheverry, dans le numéro de la revue Alternatives Non Violentes consacré aux « menaces climatiques, un défi pour la non-violence ». […]
L’action non-violente déterminée, poursuit-il, permet d’alimenter le radicalisme qui amène des militants, des jeunes, de la dynamique, une audace militante et stratégique, une capacité de résistance, tout en étant suffisamment pragmatique pour ne pas se couper des réalités, de la population, et du coup construire un soutien majoritaire à la cause qu’on défend2 « La démarche est juste et précise. La véritable radicalité n’est pas dans davantage de violence, mais dans davantage de non-violence incluant des actions de désobéissance civile. De même, le pragmatisme assure de mettre en œuvre des actions à la portée du plus grand nombre, avec « un objectif clair, précis, limité et possible » (Jean-Marie Muller), favorisant ainsi le soutien de l’opinion publique conscientisée par des actions à la fois pédagogiques et humoristiques.
L’humour est en effet au cœur de la démarche des militants non-violents pour le climat, ce qui n’est pas sans rappeler l’arme géniale utilisée par les militants contre l’extension du camp militaire du Larzac qui savaient trouver, par l’originalité des slogans, les mots qui mettaient les rieurs de leur côté. Conscientiser l’opinion publique est un enjeu décisif pour développer la mobilisation et rien de tel que l’humour pour faire passer des messages. Le film alterne les scènes où les militants prennent un malin plaisir à tourner en dérision les forces du désordre établi avec des scènes plus dramatiques où la non-violence doit faire face au défi de la répression. C’est ainsi que la non-violence ne peut s’improviser pour être efficace, elle doit être soigneusement préparée. Le film montre aussi les temps de formation et de préparation inhérents à une rigoureuse mise en œuvre de l’action non-violente.
Les militants d’Alternatiba et d’ANV-COP 21 sont devenus aujourd’hui les meilleurs ambassadeurs de la force de la non-violence dans notre société. Irrintzina, en ce sens, est le film d’une nouvelle génération d’activistes qui s’engagent concrètement et radicalement, sans se payer de mots, tout en assumant les conséquences de leurs actes. La force du film, c’est de montrer la force de la non-violence en acte. En ce sens, c’est un film réellement pédagogique. J’en suis persuadé, il convaincra ceux qui sont encore sceptiques quant à la non-violence et renforcera la détermination de ceux qui ont déjà fait l’option de la non-violence, par souci de cohérence et d’efficacité.
- Le principe de non-violence, 1995, Desclée de Brouwer, p. 88.
- Txetx Etcheverry, « Non-violence et changement d’échelle dans les luttes climatiques », in Alternatives Non-Violentes n° 183, juin 2017, p. 1